Élicitation

De lexSIC
Liste des termes

E (Élicitation, Embargo...)

L (Ligne éditoriale, Like...)

P (Packaging, Page...)

R (Raccord, Résumé...)

S (Scénario, Scoop...)

T (Tabloïd, Trace...)

V (Veille, Voix off...)

. n.f.

. Angl. Elicitation

. Cult. Informationnelle


Définition

Tirer les vers du nez

Dans les domaines du renseignement militaire et de l’intelligence économique, le terme d’élicitation s’emploie pour désigner l’action et la manière de soutirer de l’information à une personne lors d’une conversation ou d’une correspondance sans que celle-ci ne se doute du but que se fixe son interlocuteur·trice. Plus prosaïquement, il s’agit de « tirer les vers du nez » d’une personne pour obtenir d’elle des renseignements qu’elle n’entendrait pas livrer autrement.

Façon puzzle

En communication d’entreprise, l’élicitation désigne une « méthode de collecte et de traitement de l’information à partir de données disponibles et d’informations ouvertes sur le web » (Breillat, 2015). A la manière d’un puzzle, des données dispersées sur le web au rythme des interactions avec la toile, aussi bien par une personne que par un groupe ou une organisation, sont retrouvées, sélectionnées et agrégées, puis mises en relation pour en extraire du sens, sous la forme d’un historique ou d’un discours reconstitués. Ce processus de recherche et d’exploitation des données se fait à l’insu de la cible mais en utilisant des moyens légaux puisque toutes les informations sont publiques et légalement accessibles. Ce n’est pas le cas des techniques de l’ingénierie sociale (social engeneering) qui, à l’inverse, a recourt à des moyens répréhensibles (manipulation, piratage, hameçonnage) dans le but d’escroquer.

Cette méthode de profilage mobilise particulièrement les réseaux sociaux numériques (publics et professionnels) et les moteurs de recherche (pratique de la « googlisation »). Elle peut être utilisée par les Ressources humaines en vue d’un recrutement par exemple, ou dans le journalisme d’investigation, mais également dans des situations de mise en relation avec des partenaires professionnels, politiques ou associatifs lorsqu’il y a intérêt à mieux les connaître. L’élicitation s’avère également être une pratique domestique répandue, dans le cas de relations sentimentales ou de voisinage par exemple.

Les pièces du puzzle

Les données collectées dans le cadre d’un processus d’élicitation sont de nature publique, même si elles concernent la plupart du temps des données personnelles, dans la mesure où celles-ci sont libres d’accès. Il peut s’agir de données relatives à :

  • l’état civil (statut, nombre d’enfants, date de naissance) ;
  • la formation scolaire, universitaire ou professionnelle (diplômes, qualifications, compétences) ;
  • le parcours professionnel (postes et fonctions occupées) ;
  • le réseau social réel (ami·es, entourage, famille, contacts) et virtuel (réseaux sociaux numériques) ;
  • les orientations sexuelle, politique, confessionnelle ;
  • les engagements syndicaux, associatifs, collectifs ;
  • les passions, hobbies, loisirs et voyages.
  • etc.

Nombre de ces données peuvent être assez facilement captées à partir de publications sur le Web, tels des commentaires, posts, photographies et vidéos, murs et profils, listes de contacts, etc.

Le cas Marc L***

En janvier 2009, une investigation de type journalistique a mis en lumière un fait d’élicitation appliquée. Le Tigre, magazine papier et en ligne, publie un article de deux pages dans son numéro 28 de novembre 2008 – mis en ligne sur le site en janvier 2009 -, dressant le « portrait Google » d’un inconnu à partir des traces qu’il a laissées, volontairement ou non, sur de nombreux médias sociaux. D’innombrables détails le décrivent sur les plans professionnel, relationnel et sentimental. On y découvre, preuves à l’appui, ses goûts et ses passions, son caractère, ses voyages, une partie de son adresse et de son numéro de téléphone. Bien que son anonymat soit (en partie) préservé, la personne ciblée, avertie par un ami, se reconnaît aussitôt et entre en relation avec l’auteur de l’article.

Le titre ayant une diffusion modeste, l’affaire aurait pu en rester là. Mais, le 14 janvier suivant, le quotidien régional Presse-Océan relance le sujet en publiant dans sa « une » une interview de Marc L. Un emballement médiatique s’ensuit (AFP, Le Monde, JT de TFI, radios nationales, Canal+, etc.) qui interpelle Le Tigre et monte l’affaire en buzz médiatique. L’angle souvent repris par les médias est de défendre l’honnête citoyen dont la vie privée aurait été jetée en pâture par un « journaliste » peu scrupuleux… Il faut remarquer qu’à cette époque, la confiance des usagers à l’égard des réseaux sociaux numériques était encore largement partagée. Le Tigre, d’une certaine manière, a joué un rôle non négligeable dans la prise de conscience des limites et des risques potentiels de cet outil social.

L’intention de l’auteur de l’article n’avait en fait pas été comprise. Il s’agissait pour lui d’alerter sur ces moments de notre vie privée que nous étalons publiquement sur le Web sans prendre conscience qu’elles peuvent nous révéler et nous desservir. L’exercice consistait en une démonstration concrète, à partir d’un cas réel, et avait une visée d’ordre pédagogique. Le message a d’ailleurs été bien reçu par quelques autres médias et, par ailleurs, dans l’Éducation nationale où de très nombreux·ses professeur·es documentalistes se sont servi·es de cet article comme matériau pédagogique pour alimenter des séances sur l’identité ou la présence numérique.

Et suivant l’exemple de Le Tigre, des exercices d’élicitation appliqués à des profils de personnes publiques ont même été proposés aux élèves.

Étymologie

Le terme élicitation apparaît dans cette forme en 1838. Il est une déclinaison du latin ēlicitus, participe passé du verbe ēlicēre (La langue française), formé du préfixe ex-, exprimant l’idée de « sortir », et de laciō au sens de « attirer, séduire » (Gaffiot, 1934).

Le verbe laciō a pour origine la racine latine lax, « appât, ruse, tromperie, séduction ». A ce verbe s’apparentent le désidératif lacessō et le fréquentatif lactō . Le premier exprime l’idée de « chercher à attirer dans un piège, provoquer, harceler ». Le second, lactō, a tout d’abord eu pour sens « attirer hors de, séduire » puis, par affaiblissement de sens, « charmer, délecter ». Laciō a connu de nombreux composés, dont deliciō, « détourner par ses séductions » avant de signifier « plaisirs favoris, délices » et ēliciō, qui nous intéresse particulièrement ici. Ēliciō désignait en effet l’action de « faire sortir par ruse (militaire) ou par magie (religion) » (Ernout & Meillet, 2001). Le Gaffiot nous livre même, parmi les emplois repérés dans les textes latins, le sens de « arracher une parole à quelqu’un ». Ēliciō renferme également les sens de «  engager à sortir, amener à, entraîner (au combat) » et, de manière plus radicale, de « faire sortir, tirer de, arracher, extraire, exciter, provoquer, obtenir » (Gaffiot).

Nous retrouvons sans surprise ces diverses formes dans les dérivés français de lacs, entrelacs, lacet, lasso, mais aussi délices, délicat, délectation (Rey, 1995 ; Balsan, 1941).

Le suffixe -ation étant la marque de l’action, le terme élicitation exprime par conséquent l’action entreprise pour faire sortir quelque chose de quelqu’un ou de quelque chose. Il désigne le processus utilisé dans le but d’extraire, de tirer de, de susciter, de provoquer.

Le terme connaît des emplois très divers dans de nombreux domaines tels que la biologie, la pédagogie, l’intelligence artificielle, la linguistique, la gestion de projet, la gestion des connaissances et le marketing (Wikipédia) ou encore les sciences sociales et le management. A chaque fois se retrouve le sens de « faire advenir quelque chose en employant une technique appropriée ». Selon les cas, trois sens voisins apparaissent : déclencher (provoquer une réaction), rendre visible (formaliser, modéliser, rationaliser, expliciter) ou extraire (arracher, extirper).

Termes corrélés

Données personnelles ; Emballement médiatique ; Identité numérique ; Ingénierie sociale ; Présence numérique ; Profilage ; Recherche d’information : Trace numérique


Bibliographie

Définition

BREILLAT Jacques. s.v. « Élicitation ». Dictionnaire de l'e-réputation : veille et communication d'influence sur le web. ENS, 2015.

ÉCOLE DE GUERRE ÉCONOMIQUE. s.v. «Élicitation ». Lexique. Portail de l’IE, s.d.

JACQUET Laurent. s.v. « Élicitation ; Social engeneering ». Lexique du renseignement, de l'information et de l'influence. l'Esprit du livre Éditions, 2009.

WIKIPÉDIA. «Élicitation ». Wikipédia, 27 avril 2022.

Le cas Marc L***

BLONDEEL Cédric, VAUTIER Emmanuel. « Mis à nu par Internet ». PresseOcéan.fr, 14 janvier 2009.

GAUCHARD Yan. « Un internaute piégé par ses traces sur la Toile ». Le Monde, 17 janvier 2009.

JACQUET Laurent. s.v. « Élicitation ; Social engeneering ». Lexique du renseignement, de l'information et de l'influence. l'Esprit du livre Éditions, 2009.

MELTZ Raphaël. « Marc L*** ». Le Tigre, 7 janvier 2009.

MELTZ Raphaël. « Marc L. Genèse d’un buzz médiatique ». Le Tigre, 28 avril 2009.

Recherche étymologique

BALSAN F. Étude méthodique du vocabulaire Latin-Français. Hatier, 1941. p. 171.

ERNOUT Alfred, MEILLET Antoine. s.v. « lax ». Dictionnaire étymologique de la langue latine : Histoire des mots. Klincksieck, 4ème éd., 2001.

GAFFIOT Félix. s.v. « ēliciō ; laciō ; lacessō ». Dictionnaire illustré Latin Français. Hachette, 1934. Consultable sur le site Lexilogos, s.d.

LA LANGUE FRANÇAISE. sv. «Éliciter ». lalanguefrancaise.com, s.d.

REY Alain (dir.). s.v. « Lacs ». Dictionnaire historique de la langue française. Dictionnaires Le Robert, 1995.

WIKTIONNAIRE. sv. «ēliciō ». Wiktionary.org, s.d.